Mais ne montons pas sur nos grands cheveux : il n’a rien à reprocher à Ambrose le bâtisseur, l’entrepreneur, le consommateur. Et pourquoi penser à autre chose qu’à ce qui est à venir ? Le Rassemblement sera énorme. Plus grand que nature. Au-delà du croyable. Quarante-quatre mille acteurs, porte-parole, célébrités, ancien acteurs, leur retour à tous. 44000 qui vont – sur film – se rassembler, se saluer, se rencontrer et manger. Manger. Une irruption de consommation pure à 99,941%. Les plans de caméras seront panoramiques. Il vous faudra les yeux sur le côté des poissons des grands fonds pour seulement espérer tout embrasser. La foule énorme que J.D. a forgée sur trente années d’un temps acheté seconde par seconde au prix fort se réunira, perdra la courtoisie des supplicateurs qui atomise les foules, et désirera plus que tout souci terrestre la reddition de la graisse, le soupir de l’huile, le scintillement de la carbonisation, la consommation de chair inspectée par les autorités. Ils festoieront dans la chair, les lèvres tachées de pourpre avec le sang frit du tonnage floral de Steelritter.
Toujours lointaine, Collision est un asile d’aliénés. Frénétique, coagulée, grouillantes d’anciens qui implorent de rester. L’inverse de la chute de Saigon. Les habitants de la ville, descendants d’un marché accidentel, ont appris à rendre la monnaie sur les gros billets – partout des souvenirs, des stands de concessions maison. Des arches jumelles plaquées or ont été élevées, chacune de la taille de celle de Saint-Louis, et au nadir de leurs paraboles géantes un autel gemmé réclame, sur bande, que vous le laissiez vous offrir une pause. Sa prédelle est un steack haché doré format pelouse. Et tout ce qui a été bâti – arches, autel, prédelle – a été perforé et rempli pour faire jaillir une douche de sang de première qualité au moment extatique de l’approche de l’hélicoptère de Jack Lord. Une vision chialistique, l’acmé. Il regardera le désir grimper jusqu’à ce comble rouge et or, cette fraction de seconde où trembleront et éternueront trente années de consommateurs, succombant comme un seul. C’est le grand secret d’un génie public : ce sera la Tempête avant le Calme. Gorgés de flore et de faune que leur argent a tuée et expédiée surgelée pour servir des milliards, les anciens capituleront, festoieront, parfaitement.
Et, comme on dit, ce sera tout. Personne ne quittera jamais le Rassemblement à la ferme aux roses. La révélation de Ce qu’Ils Veulent sera sur eux ; et, dans cette révélation du Désir, ils Posséderont. Tous ils Paieront Le Prix – sans persuasion. C’est le chant du cygne de J.D. Plus besoin de J.D Steelritter Advertising ni du génie de son timonier. La vie, la vérité, sera sa propre réclame. La publicité aura enfin atteint la mort qui était son objet dès le premier jour. Et, bien sûr, dans la Mort elle deviendra Vie. Le dernier spot publicitaire. La culture populaire, la grande berceuse lallatée des E-U d’A, le gros pense-bête sur le frigo de la croyance s’effondrera, sans plus de sponsor, sur un sol soigneusement salé. Le public, un immense besoin unique, ne regrettera pas le temps où on lui rappelait ce en quoi il croit. Il doutera de ses peurs, croira ce qu’il souhaite ; et, ensemble, en Rassemblement, ses souhaits adviendront. Ses souhaits, oui, deviendront réalité. Fait égalera fiction égalera fait. Ambrose et ses héritiers dicteront les règles, sans règles. Métaviande. Métafiction.
Et Steelritter qui prévoit-il ? Il se retirera sur le carrefour où tout a débuté. En paix au centre de la foule rugissante. S’accordera peut-être une sieste bien mérite, étiré au croisement des chemins, chaque membre une direction, le cigare en cadran solaire. Il se détendra et sentira l’imposante rotation de la Terre bégayer, vaciller, s’opposer.
Il sera objet de gratitude. Il ne sera pas simplement nécessaire. Il sera aimé. Chéri. Car il Re-Présentera le Produit.
David Foster Walace : "La Fille aux cheveux étranges" (p.405-407)